Beaucaire, les yeux dans les yeux
Ahmed, Beaucairois depuis toujours
Ahmed est Beaucairois depuis toujours et autant dire qu’il a beaucoup de choses à raconter sur notre ville. Les deux heures de notre rencontre ont été trop courtes pour écouter toutes ses histoires passionnantes et son parcours de Beaucairois atypique.
C’est son père qui a été militaire dans le génie pendant 11 ans, a été le premier de la famille à s’installer à Beaucaire en 1948.
Aujourd’hui son papa à 89 ans, alors qu’il n’y avait jamais songé, il a déménagé de Beaucaire en 2014.
Ahmed a grandi à Beaucaire et y a fait toute sa scolarité, de l’école de la Poste, en passant par le collège Eugnée Vigne jusqu’au Lycée Langevin où il a fait de la menuiserie. En souriant, il me raconte qu’il n’y est pas resté longtemps, étant donné que ce n’était pas un élève modèle, plus dissipé qu’assidu.
Les anecdotes abondent et c’est un plaisir de l’écouter.
Il se remémore le bon temps de la place vieille, que l’on surnommer la Cour des Miracles. C’est souvenir d’enfance et d’ado à la place vieille, sont pour lui les plus beaux souvenirs de Beaucaire. Ces yeux brillent lorsqu’il me narre que les plus âgés parler aux plus jeunes, sans aucune arrière pensée, avec respect de l’écoute. Il me précise à cette époque on écoutait les « vieux », comme il dit avec une certaine connivence et attachement, que c’était quelque chose. « Ils ta parlaient, tu les écouter, que ce soit pour t’engueuler, pour te faire rire ou te raconter une histoire », « on savait écouter les anciens ». « La place vieille c’était l’endort le plus vivant de notre ville, toutes les générations et tous ces hommes et ces femmes issues de différents horizons se mélangeait, se côtoyaient avec une humilité, un respect et une fraternité rare ». « C’était ça la place vieille, un ESPRIT FAMILLIAL ». Il me rappelle cette générosité et cette solidarité qu’il y avait entre les habitants de la place vieille. Une belle ambiance méditerranéenne fraternelle. « Le soir on ouvrait les portes et les fenêtres, tout le monde sortait les chaises dans les rues, il y en a qui se passait le sel de fenêtre en fenêtre. Alors on attachait la salière à une ficelle et on le passait au suivant. Personne ne se plaignait du voisin qui faisait du bruit ». Ahmed me parle de cette place vieille, qui semble aujourd’hui avoir perdu sa jeunesse. C’était un lieu qui comptait 7 bars et où quelques grandes figures Beaucairoises ont passées : Jean Cambi le manadier, Julien Rey le Raseteur, Dédé D’Angelo, Reine Fidani, …
Quand il était, avant d’aller à l’école il courrait chercher des glaçons pour alimenter les bars qui à l’époque n’avait pas de moteurs réfrigérés. En échange, les propriétaires des bars donnés aux enfants un sandwich, et parfois un steak, c’était un produit de luxe que certaines familles ne pouvaient s’offrir. Amusé, il me dit « Ah, on savait ce que c’était que de gagner son bifteck, comme le veut l’expression ».
Il se souvient du raseteur Julien Rey, et s’est émerveillé que j’écoute Ahmed racontait les anecdotes à son sujet. « Julien savait nous raconter ses histoires », je comprends que la légende qui a fait naître l’art du raset, pouvait au travers des histoires qu’il contait, faire rêver ses gamins. Il me raconte qu’il a écrit au maire actuel pour demander qu’une stèle de Julien Rey soit mise en place, il regrette que ça n’ait pas pu se faire. « C’était peut-être une légende de la course camarguaise, mais il a certainement pas eu une vie exemplaire pour tout le monde ».
Ahmed me confie qu’il n’est pas nostalgique de cette époque, mais c’était une autre façon de vivre avec davantage de solidarité.
Il garde en mémoire de belles rencontres, comme avec Mme Eustache qu’il lui avait offert une raquette de tennis lorsqu’il était jeune. Pour lui le tennis c’était un sport inaccessible et qui le faisait rêver. Grâce à cet acte de générosité, il a pû toucher à ce sport et à le pratiquer. Son regard s’étincelle à nouveau en me relatant ces faits.
Tous ses souvenirs sont des cadeaux qu’il nous offre en les racontant. La naissance de la fameuse fête du Drac de la place vieille, qui battait son plein avec un Drac né sous les mains des peintres Astor et Turrel.
Ahmed m’évoque ses moments de joie de jeunesse lorsque pendant les estivales, les jeunes couraient à la vitrine du photographe Parenthou pour voir s’ils apparaissaient sur les photos, des abrivados, des défilés… Des premières fête au Coquemar, avec Michel Serre et Dédé D’Angelo, qui avant d’avoir le bar avait une pizzeria qui attirait du monde jour comme nuit au-delà des frontières de la ville et du département. Il y a avait une véritable vie nocturne à Beaucaire festive et dans le respect de chacun de tous.
Grâce à Jean Cambi, le manadier et propriétaire du Bar Taurin, qu’il lui a proposé du travail, ils ont été les premiers à faire venir un spectacle de Forcados à Beaucaire. Ahmed me fait le récit de nombreuses anecdotes à ce sujet. Un premier spectacle organisé à la va-vite, hésitant sur les années en 77 ou 78, « c’était un vendredi, ce premier spectacle, il n’y avait pas eu grand monde et ça va été une boucherie. Et puis on a été les premiers à proposer à organiser des spectacles mieux organisés et le jeudi soir des Estivales, car il n’y avait rien encore à ce moment-là ». Avec Jean Cambi, il est resté très longtemps dans le milieu taurin et des Forcados, au point qu’un jour il lui a été proposé de rentrer dans l’arène. Ahmed a toujours été grand et costaud. Il colalit au profil. Et puis, un jour à force d’insistance, il a passé le cap de la peur. Et l’adrénaline aidant, il s’est pris au jeu, et a renouvelé l’expérience à de nombreuses reprises. Bras, poignets cassés … Ce métier ne lui a pas laissé que des souvenirs. Il était devenu un français au milieu des Portugais.
Et puis il y a eu l’insurrection roumaine. L’épisode de Timisoara, avec les nombreux aller-retour des Beaucairois partis aider les civils dans des actions humanitaires. Une expérience riche en partage et forte en émotions. Des tracs qui annonçaient leur mort, l’histoire du vrai-faux charnier qu’il a pu voir de ses propres yeux, le bruit et les lumières des tirs… « On a fait tout ce que l’on pouvait faire pour eux, on l’a fait ! ».
Aujourd’hui, mari, père de trois enfants. Il est fier d’être Beaucairois, il se reconnait dans Beaucaire, mais il aimerait retrouver la chaleur humaine qu’il a connue avant.
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